Page:Bloy - Le Sang du pauvre, Stock, 1932.djvu/145

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mêmes qui l’ont éprouvée le plus durement ne savent pas ce qu’elle est en réalité. Quel degré de miséricorde glaciaire espérerez-vous, par exemple, d’un individu qui a passé quarante ans à vendre 2 ou 3 francs au détail ce qui lui coûtait en gros 0 fr. 50, ou de celui-ci, monstrueux parmi les immondes, qui fut à la fois mouchard, acheteur de reconnaissances du mont-de-piété, empoisonneur sur le zinc et tenancier d’une maison de passe héritée de madame sa mère. Le cœur tremble de penser à ces justiciables qui ont le pouvoir de condamner à mort des familles et qui en usent, à chaque instant, sous la protection des lois.

Il faut avoir été soi-même un pauvre pour savoir ce que c’est que d’avoir à donner sans cesse le meilleur fruit de son travail et de sa peine, la fleur du sang de ses enfants, pour arrondir un parasite fainéant, grand ou petit, un damné de Dieu et des hommes, incapable même de la gratitude intestinale d’un chien pour les êtres, quels qu’ils soient, qui lui remplissent les boyaux. Car ils sont sans nombre les pauvres gens qui travaillent et qui jeûnent