Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/140

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la rue, après quinze ans. Il ne l’avait pourtant vu qu’une seule fois, à la clarté d’une lanterne, mais en de telles circonstances que depuis lors, il n’avait jamais cessé de le voir dans sa veille ou dans son sommeil, et que, le rencontrant tout à coup au milieu des êtres vivants, il s’évanouit d’horreur.

— Vous ne savez pas ce que c’est qu’un champ de bataille, la nuit, quand les bourgeois dorment dans leurs lits. C’est une chose, monsieur, dont le Dante n’a point parlé.

Eh ! bien, écoutez. On s’était battu toute la journée, et j’étais resté dans le tas des demi-morts. Quand je dis le tas, je ne suis pas tout à fait exact. Les choses ne se passent point, en réalité, comme dans les tableaux de batailles. Ce serait une erreur de croire qu’on trouve les malheureux bougres entassés les uns sur les autres, accumulés et enchevêtrés d’une manière esthétique, étalant des blessures extrêmement nobles pour le saisissement des dames en toilettes fraîches qui se reculent pour mieux voir l’ensemble à travers un binocle d’or.

La vérité vraie, c’est qu’il y a presque toujours un intervalle de plusieurs mètres entre chaque corps, même sur les points où le combat a été le plus meurtrier, et ce n’est que dans des cas fort