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Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/195

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Vers les premiers jours de décembre, une grande femme vêtue de noir et strictement voilée se présenta chez le tout-puissant Ministre.

Elle avait sans doute obtenu la très rare faveur d’une audience, car elle fut introduite presque aussitôt, sans avoir eu à subir les outrageantes questions des huissiers ou du chef de poste.

Dès le seuil, elle faillit être suffoquée par l’odeur amalgamée du suint germanique, des cigares et de la cuisine. Se raidissant néanmoins avec énergie et relevant le bas de sa robe pour franchir les divers amas de fumier saxon ou poméranien, elle se laissa conduire.

La pièce où l’introduisit raidement le chef du cabinet, M. de Hatzfeld en personne, qui était venu la recevoir dans l’antichambre, était pleine de fumée et d’une température de magnanerie.

Deux bougies brûlaient sur la cheminée, fichées dans des bouteilles vides, chacune d’elles environnée d’un halo. Au milieu, sur un méchant guéridon, un broc contenant de la bière et quatre gobelets d’argent. Le reste du mobilier, triste et sale.

La visiteuse vit alors entrer un grand sauvage assez mal affublé d’une interminable capote verte à collet et à doublure jaunes, déboutonnée et laissant voir la chemise et les bretelles. C’était Bismarck.