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barbey d’aurevilly espion prussien

début, tout compris et tout deviné, il avait fait simplement et spontanément le sacrifice d’une existence que le spectacle uniforme des lâchetés ou des trahisons ne le disposait plus à chérir.

Et ma foi ! il s’en fallut de si peu que ce serait manquer de respect à la Mort que de prétendre chiffrer, même en clins d’yeux, l’infinitésimale durée de la nutation providentielle qui l’en préserva.

Soudain, comme il croyait voir dix mille bras levés sur lui, deux angéliques figures de bonnes bêtes militaires apparurent à sa droite et à sa gauche, qui haranguaient impétueusement la foule.

— Monsieur, lui dit un de ces deux hommes, ne craignez rien. Marchez entre nous et laissez-vous conduire au poste. C’est le seul moyen de vous sauver. Vous vous expliquerez avec le commissaire de police. Quand même vous seriez une canaille, nous vous défendrons, et si on veut votre peau, il faudra d’abord qu’on prenne la nôtre.

Trois minutes plus tard, l’un des plus grands artistes du siècle comparaissait en suspect devant un intérimaire du Néant qui faisait les fonctions de commissaire de police dans le quartier.

Ce gracieux magistrat, qui ne paraissait pas avoir pris le train littéraire le plus rapide, ignorait invinciblement le nom et la qualité de son captif, provisoirement traité par lui comme un criminel probable et qu’il ne consentit à relâcher que très tard, sous la bénévole caution d’un personnage olympien.