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Page:Bluther - Marie-Anna la Canadienne, 1913.djvu/195

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MARIE-ANNA LA CANADIENNE

beau que tout ce que je pourrais écrire. Ce que j’exprime n’a rien de comparable à ce que je sens. Vois-tu, Gilbert, les amoureux sont d’une autre essence que les commerçants ; depuis que tu vends des estampes à Paris, je suis sûr que tu as perdu l’entendement de ces choses-là. Tu n’es déjà plus un artiste, tu n’es plus qu’une machine à mesurer des cadres, continua Villodin sans s’occuper des grimaces que faisait Gilbert en s’entendant ainsi qualifier. De plus, tu n’as jamais éprouvé de passion. Tu ne peux pas savoir ce que c’est qu’aimer, oublier le monde, la société, perdre de vue l’univers pour s’isoler dans un sentiment unique qui est plus grand que l’univers entier ! Tu ne sais pas ce que c’est que remplir chaque minute de sa vie d’une seule pensée infinie comme la création elle-même, s’endormir le soir en rêvant à la femme aimée, le matin, remercier l’aube qui fait renaître son souvenir et passer cette journée comme la veille en remplissant chaque minute de la même pensée unique et infinie !… Ne m’interromps pas, Gilbert. Tu veux me dire que je ne suis pas heureux ainsi. Hélas, précisément, mon ami ! C’est parce que je souffre que tout mon être tend vers cette amère