Page:Boccace - Décaméron.djvu/299

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et vit qu’il en était ainsi ; puis il manda le menuisier et celui à qui avait appartenu le coffre, ainsi que les usuriers, et après plusieurs investigations, il fut établi que la nuit précédente les usuriers avaient volé le coffre et l’avaient porté chez eux. Enfin, il fit venir Ruggieri, et lui ayant demandé où il avait été hébergé le soir précédent, celui-ci répondit qu’il ne savait pas où il avait été hébergé, mais qu’il se souvenait bien qu’il était allé coucher avec la servante de maître Mazzeo, dans la chambre de laquelle il avait bu de l’eau, à cause de la grande soif qu’il avait ; mais pour ce qui était advenu de lui après, sinon quand en s’éveillant chez les usuriers il s’était trouvé dans un coffre, il ne le savait pas. Le juge, entendant ces choses, en éprouva une grande satisfaction, et les fit redire plusieurs fois à la servante, à Ruggieri, au menuisier et aux usuriers. À la fin, reconnaissant que Ruggieri était innocent, il condamna à dix onces d’amende les usuriers qui avaient volé le coffre, et rendit la liberté à Ruggieri. Si cela fut agréable à ce dernier, que personne ne le demande ; mais cela fut agréable outre mesure à sa dame, laquelle par la suite avec son amant et sa chère servante qui avait d’abord voulu lui donner des coups de couteau, en rit souvent ; et ils festoyèrent joyeusement, continuant leur amour et leurs ébats de mieux en mieux ; et je voudrais qu’il m’advînt ainsi, mais non toutefois d’être mis dans le coffre. — »

Si les premières nouvelles avaient contristé le cœur des dames amoureuses, la dernière dite par Dioneo les fit tellement rire, et spécialement quand il raconta que le juge avait attaché son croc, qu’elles purent se refaire de la compassion que les autres nouvelles leur avaient inspirée. Mais le roi voyant que le soleil commençait à pâlir et que le terme de son commandement était venu, s’excusa par d’agréables paroles auprès des dames de ce qu’il avait fait, c’est-à-dire de les avoir obligées de raconter sur un sujet aussi dur que l’infortune des amants. L’excuse faite, il se leva, ôta la couronne de sa tête, et comme les dames attendaient de savoir à qui il la donnerait, il la posa délicatement sur la tête blonde de la Fiammetta en disant : « — Je te donne cette couronne, comme à celle qui, dans la journée de demain, saura le mieux consoler nos compagnes de l’âpre journée d’aujourd’hui. — »

La Fiammetta, dont les cheveux crépus, longs et dorés retombaient sur ses blanches et délicates épaules, et dont le visage rondelet était tout resplendissant d’une blancheur de lis mêlée aux roses vermeilles, avec deux yeux à fleur de tête semblables à ceux d’un faucon voyageur, et une toute petite bouche dont les lèvres semblaient être deux rubis, répondit en souriant : « — Et moi, Philostrate, je la prends volontiers, et afin que tu t’aperçoives mieux de ce que tu as fait,