Page:Boccace - Décaméron.djvu/638

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comme le sont la plupart d’entre vous, ç’aurait été une sottise que d’aller chercher et de se fatiguer à trouver des choses trop relevées, et que de mettre son soin à parler sur un ton démesuré. Cependant, que ceux qui se hasarderont à lire ces nouvelles, laissent de côté celles qui ennuient et lisent celles qui amusent. Afin de ne tromper personne, elles portent toutes, marqué au front, ce qu’elles tiennent caché en leur sein.

Je crois qu’il y en aura encore qui diront que quelques-unes de ces nouvelles sont trop longues. À celles-là, je dirais également que quiconque a autre chose à faire, ferait une folie de les lire même si elles étaient toutes courtes. Et bien qu’il se soit passé beaucoup de temps depuis que j’ai commencé à écrire, jusqu’à l’heure présente où j’arrive à la fin de mon travail, il ne m’est pourtant pas sorti de la mémoire que j’ai offert mon labeur aux gens de loisir et non aux autres. Pour qui lit par passe-temps, aucune lecture n’est longue, si elle donne le résultat que cherche le lecteur. Les choses brèves conviennent beaucoup mieux aux étudiants, lesquels travaillent non pour passer le temps mais pour l’employer utilement, qu’à vous, mesdames, pour lesquelles tout le temps que vous ne dépensez pas à vos amoureux plaisirs est du temps perdu. En outre, comme aucune de vous ne va étudier ni à Athènes, ni à Bologne, ni à Paris, il faut qu’on vous parle plus longuement qu’à ceux qui ont aiguisé leur esprit dans l’étude.

Je ne mets point en doute aussi qu’il n’y en ait qui diront que ces récits sont trop remplis de bons mots et de plaisanteries, et qu’il n’était pas convenable à un homme de poids et sérieux d’écrire de cette façon. À celles-là, je suis tenu de rendre grâces et je les leur rends, pour ce que, mues par un zèle louable, elles sont soucieuses de ma renommée. Mais voici ce que je veux répondre à leur objection : je confesse être un homme de poids, et avoir été pesé souvent en ma vie ; et pour ce, m’adressant à celles qui ne m’ont point pesé, j’affirme que je ne suis point pesant ; au contraire, suis-je si léger, que je flotte sur l’eau comme une noix de galle. Et considérant que les prédications faites par les moines pour vitupérer les hommes de leurs péchés, sont, aujourd’hui, la plupart du temps pleines de jeux de mots, de plaisanteries, de bouffonneries, j’ai pensé que ces mêmes choses ne seraient point mauvaises dans mes nouvelles écrites pour chasser la mélancolie des femmes. Toutefois, si celles-ci en