Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/25

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et vêtements des sujets : et pour les maintenir en santé la douceur du ciel, la température de l’air, la bonté des eaux : et pour la défense et retraite du peuple, les matières propres à bâtir maisons et places fortes, si le lieu de foi n’est assez couvert et défendable. Voilà les premières choses desquelles on est le plus soigneux en toute République et puis on cherche ses aisances : comme les médecines, les métaux, les teintures : et pour assujettir les ennemis, et allonger les frontières par conquêtes, on fait provision d’armes offensives : et d’autant que les appétits des hommes sont le plus souvent insatiables, on veut avoir en affluence, non seulement les choses utiles et nécessaires : ains aussi plaisantes et inutiles. Et tout ainsi qu’on ne pense guère à l’instruction d’un enfant qu’il ne soit élevé, nourri, et capable de raison : aussi les Républiques n’ont pas grand soin des vertus morales : ni des belles sciences, et moins encore de la contemplation des choses naturelles et divines, qu’elles ne soient garnies de ce qui leur fait besoin : et se contentent d’une prudence médiocre, pour assurer leur état contre les étrangers, et garder les sujets d’offenser les uns les autres, ou si quelqu’un est offensé, réparer la faute. Mais l’homme se voyant élevé et enrichi de tout ce qui lui est nécessaire et commode, et sa vie assurée d’un bon repos, et tranquillité douce, s’il est bien né il prend à contre-cœur les vicieux et méchants, et s’approche des gens de bien et vertueux : et quand son esprit est clair et net, des vices et passions qui troublent l’âme, il prend garde plus soigneusement à voir la diversité des choses humaines, les âges différentes, les humeurs contraires, la grandeur des uns, la ruine des autres, le changement des républiques : cherchant toujours les causes des effets qu’il voit. Puis après se tournant à la beauté de nature, il prend plaisir à la variété, des animaux, des plantes, des minéraux, considérant la forme, la qualité, la vertu de chacune, les haines et amitiés des unes envers les autres, et la suite des causes enchaînées, et dépendantes l’une de l’autre : puis laissant la région élémentaire, il dresse son vol jusqu’au ciel, avec les ailes de contemplation, pour voir la splendeur, la beauté, la force des lumières célestes, le mouvement terrible, la grandeur et hauteur d’icelles, et l’harmonie mélodieuse de tout ce monde : alors il est ravi d’un plaisir admirable, accompagné d’un désir perpétuel de trouver la première cause, et celui qui fût auteur d’un si beau chef d’œuvre : auquel étant parvenu, il arrête là le cours de ses contemplations, voyant qu’il est infini et incompréhensible en essence, en grandeur, en puissance, en sagesse, en bonté. Par ce moyen de contemplation, les hommes sages et entendus, ont résolu une très belle[1] démonstration, c’est à savoir qu’il n’y a qu’un Dieu éternel et infini : et de là ont quasi tiré une conclusion de la félicité humaine. Si donc un tel homme est jugé sage, et bien heureux, aussi sera la république très-heureuse, ayant beaucoup de tels citoyens, encore qu’elle ne soit pas de grande étendue, ni opulente en biens, méprisant les pom-

  1. Aristot.lib.6.φνσίκ.άκρό.& lib.12.cap.vlt.τὰ μετὰ τὰ φυσικά.