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SATIRE X.

Mais un exemple enfin si digne de censure
Peut-il dans la satire occuper moins de mots ?
Chacun sait son métier. Suivons notre propos.
Nouveau prédicateur aujourd’hui, je l’avoue,
Écolier ou plutôt singe de Bourdaloue[1],
Je me plais à remplir mes sermons de portraits.
En voilà déjà trois peints d’assez heureux traits :
La femme sans honneur, la coquette et l’avare.
Il faut y joindre encor la revèche bizarre,
Qui sans cesse, d’un ton par la colère aigri,
Gronde, choque, dément, contredit un mari.
Il n’est point de repos ni de paix avec elle.
Son mariage n’est qu’une longue querelle.
Laisse-t-elle un moment respirer son époux,
Ses valets sont d’abord l’objet de son courroux ;
Et sur le ton grondeur lorsqu’elle les harangue,
Il faut voir de quels mots elle enrichit la langue :
Ma plume ici, traçant ces mots par alphabet,
Pourroit d’un nouveau tome augmenter Richelet[2].
MaTu crains peu d’essuyer cette étrange furie :
En trop bon lieu, dis-tu, ton épouse nourrie
Jamais de tels discours ne te rendra martyr ;
Mais, eût-elle sucé la raison dans Saint-Cyr[3],
Crois-tu que d’une fille humble, honnête, charmante,
L’hymen n’ait jamais fait de femme extravagante ?
Combien n’a-t-on point vu de belles aux doux yeux,
Avant le mariage anges si gracieux,
Tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages,
Vrais démons apporter l’enfer dans leurs ménages,
Et, découvrant l’orgueil de leurs rudes esprits,

  1. Célèbre jésuite.
  2. Auteur qui a donné un dictionnaire français.
  3. Célèbre maison près de Versailles, où on élève un grand nombre de jeunes demoiselles.