Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’Quoi ! dit-elle d’un ton qui fit trembler les vitres,
J’aurai pu jusqu’ici brouiller tous les chapitres,
Diviser Cordeliers, Carmes, et Célestins[1] !
J’aurai fait soutenir un siège aux Augustins[2] !
Et cette église seule, à mes ordres rebelle,
Nourrira dans son sein une paix éternelle !
Suis-je donc la Discorde ? et, parmi les mortels,
Qui voudra désormais encenser mes autels ? »
À ces mots, d’un bonnet couvrant sa tête énorme,
Elle prend d’un vieux chantre et la taille et la forme ;
Elle peint de bourgeons son visage guerrier,
Et s’en va de ce pas trouver le trésorier[3].
EtDans le réduit obscur d’une alcôve enfoncée
S’élève un lit de plume à grands frais amassée :
Quatre rideaux pompeux, par un double contour,

  1. Les dissensions de ces moines avaient donné lieu à un arrêt du Parlement rendu au mois d’avril 1667 sur le réquisitoire de l’avocat général Talon.
  2. Tous les deux ans, les Augustins du grand couvent nommaient, en chapitre, trois jeunes religieux pour faire leur licence en Sorbonne. L’an 1658, le chapitre, au lieu de trois, en nomma neuf, pour trois licences consécutives. Le Parlement cassa cette élection prématurée, ordonna aux Augustins de procéder à une nomination plus régulière, c’est-à-dire pour une seule licence ; et, sur leur refus, envoya des archers pour les y contraindre. Les religieux se mettent en défense, sonnent le tocsin, tirent sur les archers, apportent le saint sacrement sur le champ de bataille, et sont pourtant forcés de capituler. On se donne des otages de part et d’autre ; on convient que les assiégés auront la vie sauve. Les commissaires du Parlement entrent dans le monastère ; ils font arrêter et conduire à la Conciergerie onze religieux. Mais vingt-sept jours après, le cardinal Mazarin, l’ennemi du Parlement, met en liberté les onze prisonniers qui sont reconduits en triomphe et dans les carrosses du roi, à leur couvent. Leurs confrères vont les recevoir en procession, des palmes à la main, sonnent toutes les cloches et chantent le Te Deum. La Fontaine a composé sur cet événement une ballade.
  3. Titre du prélat qui gouverne la Sainte-Chapelle.