Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/398

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énumère en servant la même cause, et qu’il ne s’est rien passé entre les premiers honneurs qu’il a reçus et le triumvirat ? Ces décrets honorables du sénat, qui sont rappelés ici avec quelque impudence, nous les connaissons grâce aux Philippiques. Le sénat y félicite le jeune César « d’avoir défendu la liberté du peuple romain, » et d’avoir combattu Antoine ; or, c’est après s’être entendu avec Antoine pour asservir le peuple romain, dans cette lugubre entrevue de Bologne, que : César reçut, ou plutôt qu’il prit, le titre de triumvir. Sur toutes ces choses l’inscription garde un prudent silence.

Ce qui suivit cette entrevue était encore bien plus difficile à raconter. C’est ici surtout qu’Auguste voulait qu’on oubliât. « J’ai exilé ceux qui avaient tué mon père, punissant leur crime par des jugements réguliers. Ensuite comme ils faisaient la guerre à la république, je les ai vaincus dans deux batailles. » On remarquera qu’il n’est pas question des proscriptions. Qu’en pouvait-il dire en effet ? Et y avait-il des artifices de langage assez habiles pour en diminuer l’horreur ? À tout prendre, il était plus honnête de n’en pas parler. Mais comme, suivant la belle réflexion de Tacite, il est plus facile de se taire que d’oublier, nous pouvons être assurés qu’Auguste, qui ne dit rien ici des proscriptions, y a plus d’une fois songé pendant sa vie. Quand même il n’aurait pas éprouvé de remords, il a dû se sentir souvent embarrassé par ce démenti terrible que le passé donnait à sa politique nouvelle ; car il avait beau faire, les proscriptions protestaient toujours contre ce rôle officiel qu’il avait pris d’homme clément et vertueux. Ici même, il me semble que cet embarras se trahit. Son silence ne le rassure pas tout à fait. Il sent que, malgré la discrétion de son récit, de fâcheux souvenirs ne manqueront pas de s’éveiller dans l’esprit de ceux qui le liront ; n’est-ce pas pour les prévenir et les désarmer