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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

tombait d’avoir été tout jeune berger à Lumeau et de savoir le pays par cœur.

Si noir qu’il faisait, c’était déjà pas beau de faire rouler une carriole hier, dans cette contrée-là. On rencontrait des gens par terre et des chevaux morts plus souvent qu’on ne voulait ; il y avait des fusils, des roues et des obus, surtout des morts, restés entre Loigny qui achevait de brûler et Goury où j’allais. C’est en approchant de là que j’ai eu le plus d’ennui à cause des Allemands. J’avais été hélé en plein champ par une de leurs patrouilles, mais il n’y avait pas moyen que je comprisse leur maudit jargon, et ils m’avaient laissé aller après avoir fouillé la carriole et rien trouvé à leur goût, vu que j’avais caché les couvertures sous l’équipage et mis mon bidon entre ma blouse et mon tricot. En abordant le bois du château, voilà bien une autre affaire ! il y avait une sentinelle qui me couche avec son fusil. Je laisse ma bête en plan et je vas à l’Allemand. Je lui explique (faut que madame m’excuse, mais on se tire de là comme on peut et je n’avais aucune volonté de manquer de respect à la famille de madame), je lui explique que je cherche mon garçon qu’est peut-être bien tué, que je voudrais r’avoir son corps qui doit être en dedans du parc, et que je lui donnerai un napoléon d’or s’il me laisse passer. Madame sait sans doute que M. de Thieulin m’avait donné une forte somme pour les cas où son neveu serait à court d’es-