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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

pèces, c’est comme ça que je me suis trouvé en position de tenter cet Allemand qui était dans le fond, à ce que je crois, un brave homme. Il m’a laissé passer, et ma voiture, au petit bonheur. Ainsi j’ai atteint le mur de clôture où le carnage était quelque chose d’horrible. On glissait dans le sang que c’était une pitié.

Je livre ma bête à sa sagesse, vu qu’il n’y avait pas moyen de la mener plus loin, et j’escalade.

Madame me croira si elle veut, mais j’ai passé deux heures et le quart à chercher M. André sous les massifs, partout. Par bonheur encore qu’ils étaient las, les Allemands du château, et qu’ils s’en fiaient à leurs patrouilles et à leurs lignes de sentinelles pour les garder, car il me fallait bien avoir un peu de lumière et ma lanterne qui marchait à droite et à gauche aurait bien pu les intriguer. Ce qui a sauvé M. André d’être gelé est justement ce qui m’a fait tant peiner à le trouver : il était sous deux autres, à une place où il y avait sept corps en tout. Je crois que les batteries avaient porté là ; ça avait pourtant dû être un beau rond sablé avec des bancs à l’entour pour prendre le frais dans l’été. Quand j’ai trouvé M. André, il remuait bien tout seul, et travaillait à se dégager. Je pense qu’il avait été longtemps évanoui à cause qu’il avait eu, avant l’affaire de son genou, une forte entaille de baïonnette (toujours parce qu’il y allait de trop près, à mon avis), qui l’avait fait beaucoup saigner. Cela aussi va bien, et faut pas que madame s’inquiète ;

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