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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

de valeur ; espérons qu’il saura se bien garder.

Le jour tombait quand nous avons traversé le village ; l’aspect en était assez triste ; les haillons des soldats se voyaient à la lueur des feux ; on abattait des vaches en pleine rue ; je me demande si ce sont ces vaches-là qui auront fait le souper de ce soir.

Le Bocage est à un kilomètre du village ; on traverse des bois pour l’atteindre. Nous vîmes un grand nombre de jeunes arbres sciés à ras du sol ; des débris de bestiaux, du foin, mille vilaines choses jonchaient la route. Impossible de t’exprimer le sinistre de ce grand château dans sa solitude absolue.

Pas une lumière ne brillait aux fenêtres ; la grille était ouverte ; le bruit de nos roues n’amena personne, pas même un chien. Adolphe frappa à la porte du vestibule, puis à celle de la cuisine qui fut ouverte par Roland lui-même.

La foudre serait tombée à ses pieds, en notre lieu et place, que le pauvre garçon n’eût pas paru plus surpris ni plus atterré.

« Tu ne nous attendais donc pas ? lui a dit Adolphe, ne m’as-tu pas demandé il y a quinze jours ?

— Dans ce temps-là, je ne vous faisais courir aucun danger !

— En vois-tu maintenant ? »

— Vous ne savez donc pas que les ordres de marche sont donnés ? il y aura bataille dès demain, et le quartier général est à Chevilly même !