Page:Boissy-Oeuvres de Théâtre de M. Boissy. Vol.2-1773.djvu/196

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LISETTE.

Un songe, encore un songe…Ah ! le jour qui vous luit
Est fait pour dissiper les erreurs de la nuit.

LUCILE.

Ceux qu’on fait le matin sont toujours vrais, Lisette.
 (Elle quitte le pinceau.)
J’ai vu, j’ai vu l’objet de ma douleur secrete,
Je l’ai vu tout sanglant qui s’avançoit vers moi,
Et me tendoit sa main pour recevoir ma foi ;
Il me la demandoit d’une bouche expirante,
Comme le juste prix de son ardeur constante.
Eu l’arrosant de pleurs, j’ai reçu cette main,
Et la mienne a lié mon sort à son destin.
J’ai juré de rester fidelle à sa mémoire ;
Je tiendrai mon serment, je m’en fais une gloire.
Pour le rendre immortel j’emploierai mon pinceau.
Je veux de ce portrait, je veux faire un tableau.
À côté de Montval je me peindrai moi-même,
Avec les attributs d’une Épouse qui l’aime.
D’un nœud fait par l’Amour, l’Hymen nous unira,
Et loin de le briser, la mort le serrera.
Pour remplir ce projet, dont mon ame est ravie,
Rendons, de mon Amant, la figure accomplie :
Donnons sans plus tarder à des traits si chéris,
Donnons toute leur grace & leur vrai coloris.

(Tandis qu’elle peint, Montval la regarde par-dessus son portrait, et Lisette lui fait signe de se cacher.)
LISETTE.

Déjà la ressemblance est à mon gré parfaite.

LUCILE

Tais-toi, ne parle pas, je crains d’être distraite :
Souvent à notre esprit un mot fait échapper
Le vrai qu’il saisissoit, & ne peut rattraper.
Voilà, voilà sa bouche, & son tendre sourire :
Voilà ses yeux, son air. Ah ! mon Amant respire !
C’est lui, je le revois, & j’embrasse Montval !