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Page:Boissy-Oeuvres de Théâtre de M. Boissy. Vol.2-1773.djvu/209

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Même la faculté d’en faire de méchans.
La nature aujourd’hui n’est pas en tout avare,
L’Art des Vers est commun, si le génie est rare.
Je ne demande au Ciel pour unique présent,
Que la fécondité des rimeurs d’à présent.
On ne peut pas former un souhait plus modeste ;
Qu’il m’accorde la rime, & garde tout le reste.
Que je fasse des Vers, n’importe qu’ils soient plats.
Mais j’ai beau le prier, il ne m’écoute pas.

MONTVAL.

Bon, voilà qui m’apprend au vrai sa maladie.

CHAMPAGNE.

Le genre en est plaisant ; permettez que j’en rie.
Ah ! la rime le tient. Je plains son embarras,
Car je me suis trouvé quelquefois dans le cas.

LE BARON.

J’ai beau ronger mes doigts, j’ai beau même les mordre,
Raturer, déchirer, mettre tout en désordre,
Renverser & briser les meubles innocens,
Et pour trouver la rime, écraser le bon sens ;
Je n’en ai pour tout prix que la douleur secrete
D’extravaguer beaucoup sans devenir Poëte.
Ô Ciel ! Puisque de toi je ne puis obtenir
Le pouvoir de rimer, ôtes-m’en le desir,
Ce desir malheureux qui sans fruit me consume.

CHAMPAGNE.

Éloignons-nous, je crains sa fureur qui s’allume.

LE BARON.

Ma raison ce matin l’avoit su réprimer,
Ce funeste recueil vient de le rallumer,
Grands & petits, la Cour, la Ville, & la Province,
Toute la France enfin a rimé pour son Prince ;
Malheureux ! Moi tout seul, pour lui je n’ai rien fait,
Moi, qui suis dans le cœur, son plus zélé sujet !
Depuis huit mois entiers que cette ardeur m’agite,
Je n’ai pu mettre au jour un seul quatrain de suite,