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Canadiennes d’hier

hante, dès maintenant, la maisonnette dans les bois. Durant ces nuits blanches où il doit surveiller l’ébullition du précieux liquide, le souvenir des moments agréables passés en votre compagnie doit conforter notre Jean ou je me trompe fort. Je ne parle pas à la légère : le jour même de son départ pour St-Aubert, nous avons eu la preuve que vous occupez sa pensée. Élie sortait du bureau d’enregistrement, le mardi de Pâques, vers dix heures, comme il passait en traîneau avec son engagé et ses ustensiles de sucrerie. Votre vieux Castor était dans les brancards, l’air honoré d’être encore de service. C’est justement la bonne bête qu’il faut pour courir les érables. Comme il se hâtait lentement, à l’accoutumée, Élie a eu le temps de dire à notre ami sans l’obliger à s’arrêter :

« Du train que vous allez, vous n’commencerez pas d’entailler aujourd’hui. »

Et d’en recevoir cette réponse révélatrice de son état d’esprit :

« Oh ! rien ne presse, j’aime faire durer mes promenades sentimentales. »

Il a sur le cœur, c’est le cas de le dire, les taquineries du jour des rois.

Je vous en ai dit assez, j’espère, pour que votre imagination vous promène dans les grands bois avec le doux objet de vos rêves. Je voudrais qu’elle vous fasse entendre le murmure de l’eau qui prend son cours sous la croûte de glace et la voix fraîche de la sève qui dégouline de la blessure des érables. Les merles sont arrivés !

Sur ce, ma chère Sylvie, je vous laisse à vos mé-

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