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Canadiennes d’hier

moins tant que nous ne serons pas fiancés. J’ai peur de ne pas avoir souvent l’occasion de le voir, l’été prochain, excepté les dimanches et les jours de pluie. Espérons qu’il en viendra quelques-uns. Dans l’intervalle, il faudra que j’attende avec patience. J’écrirai le nom du bien-aimé sur tous les rochers du rivage comme vous faisiez dans votre jeunesse, chère amie. Jamais je ne croirai qu’il ne se présentera pas dans le courant de l’été une circonstance favorable à la conclusion de l’entente souhaitée. J’espère en la Providence des amoureux, en votre complicité, en l’occasion, l’herbe tendre et surtout en quelque diable poussant mon beau Jean. Je me figure qu’un bon soir, — un soir de grâce et de mansuétude chanté par Albert Samain, — un peu après l’angélus, nous pourrions être assis, lui et moi, disons dans les marches de votre véranda. Papa se serait dirigé vers la jetée pour humer l’air marin et l’odeur des cordages goudronnés des goélettes. Il a beaucoup navigué dans son enfance, en cachette de ses parents. C’est un beau souvenir à revivre et d’autant plus émouvant qu’il a failli se noyer plusieurs fois.

Vous, gros’maman, vous diriez votre chapelet comme chaque soir, assise dans votre bergère à la fenêtre de la grande salle, et vous auriez des distractions. Alice et Regina achèveraient l’arrosage du parterre, les voisins prendraient le frais. Delvina se bercerait « sur » sa galerie, l’oreille au guet, un œil à hue et l’autre à dia, comme dit votre vieux garçon ; des amoureux se rencontreraient, par hasard, en allant faire leur prière à l’église et on en-

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