Page:Bonenfant - Canadiennes d'hier, lettres familières, 1941.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Canadiennes d’hier

tendrait au loin la voix agaçante d’un cornet à piston. Il pourrait se faire qu’une lune blonde et curieuse veuille se montrer entre les branches des érables de grand-papa, mais je n’y tiens pas. Le crépuscule sera assez poétique sans elle et il voilera insensiblement les regards indiscrets. L’odeur des fleurs montera du jardin rafraîchi… Le seringat fera pleuvoir sur nous ses pétales blancs…

Je ne m’attends pas à une déclaration à la Cyrano, non ; mais je voudrais bien ne pas être obligée de dire comme Notre-Seigneur : « Jean, m’aimez-vous » ! L’année n’est pas bissextile ; il a beau m’appeler « la fille du roi » comme dans les contes, je préfère ne pas être obligée d’exercer mes prérogatives royales ; c’est toujours embarrassant.

Et si, dans l’ombre de votre seringat, vous voyez mettre « un point rose sur l’i du verbe aimer », vous n’en serez pas offusquée, n’est-ce pas ? vous serez plutôt émue en faisant un retour sur votre passé.

Je vous le disais bien que tante Louise aurait besoin d’aide avant longtemps ; je ne pensais pas que ma prédiction se réaliserait si vite. C’est malheureux qu’il soit si difficile de trouver une servante dans vos parages. Tout le monde est donc riche, à St-Jean-Port-Joli ? C’est, en effet, à la ville que vont les jeunes filles de la campagne qui veulent se mettre en service. Quand je me marierai, j’en emmènerai une de Québec. Dès maintenant, je me ferais un plaisir de servir d’intermédiaire si nos amis se trouvent dans l’embarras. Vous jugerez de ce que je dois offrir et vous parlerez en mon nom, chère madame. Je vous charge de cette négociation

136