Page:Bonenfant - Canadiennes d'hier, lettres familières, 1941.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Canadiennes d’hier

mais si j’avais voulu j’aurais bien réussi à m’esquiver ; ensuite, je n’étais pas sûr d’être bien reçu chez M. Carrière, mais encore là, je pense que je me serais risqué. J’avais une troisième raison que je ne m’expliquais pas bien. C’était plutôt un instinct. une impression vague ; c’est pourtant celle-là qui m’a retenu. Le printemps dernier, vous le savez, Mme Tessier, j’étais parti pour aimer votre « chère fille » à la folie. J’aurais été fier comme un roi d’être son mari, mais je me demandais si je pourrais la rendre heureuse. J’avais peur qu’elle ne puisse pas se faire à notre genre de vie si différent du sien. Il m’était venu à l’idée de mettre à ma place l’aîné des enfants de mon frère Majorique qui va sur ses seize ans. Mon père est encore capable de voir à son affaire et il a un engagé de première classe. Moi, j’aurais pu les aider pendant les quatre mois de vacances. On ne le dirait pas à mon langage, mais je suis bachelier et j’aurais aimé étudier le droit. C’était bien faisable… mais au bout de quatre ans, j’aurais été « un avocat sans causes » et c’est déjà long quatre ans de fiançailles.

J’avais pensé, aussi, à demander un emploi du gouvernement, mais, en supposant que je l’obtienne, il m’aurait fallu commencer au bas de l’échelle et, « petit employé » à dix-huit piastres par semaine, je n’aurais pas eu belle façon d’aller demander en mariage la fille d’un sous-ministre. Je faisais mieux de rester « gros habitant » comme devant.

174