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Canadiennes d’hier

d’être choisie par la grande jalouse, elle ne serait pas l’élue de l’intéressée par excellence : la terre.

Je n’envie pas un bonheur de cette sorte, le mien eût été d’une autre qualité.

Et Jean ? — Les échos de sa voix habitent nos vieux murs. — Se souvient-il de moi quelquefois ? Je ne dois pas le désirer, cela ne serait pas moral.

Gros’maman, j’ai pris l’habitude de penser tout haut avec vous. Aujourd’hui encore, je soulage mon cœur, mais c’est la dernière fois. J’ai abusé de votre bonté et de vos nerfs, je vous promets d’être moins égoïste à l’avenir. Pour me tirer du marasme, je vais travailler de mes dix doigts à des travaux utiles qui m’occuperont corps et âme.

Je n’ai pas la vocation et j’aurais mauvaise grâce d’offrir à Dieu un cœur encore plein de regrets douloureux, mais j’entrerai quand même à l’Hôtel-Dieu lundi prochain Papa m’a permis d’y suivre un cours d’infirmière. C’est à deux pas d’ici, je viendrai le voir souvent et Cati aura bien soin de lui ; je n’aurai pas d’inquiétude.

Ne pourrez-vous jamais venir à Québec, gros’maman ? et, en attendant que vous vous y décidiez, Alice et Régina ne viendront-elles pas, cet automne, faire vos provisions d’hiver ? Je compte sur leur visite. Il faut que vous me voyiez, au moins par leurs yeux, dans mon uniforme blanc, sous mon long voile d’épouse… de la souffrance humaine.

Et dire que je suis bannie du pays de mon âme, de ce St-Jean-Port-Joli où j’espérais vivre et mourir !

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