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Canadiennes d’hier

compris votre fatigue et vos craintes. Je sais qu’il est un sujet défendu sur lequel j’aurais été tentée de revenir si j’avais laissé courir ma plume. Il y en a encore un autre que, sans nous donner le mot, nous avons laissé tomber : la guerre, sujet permanent d’inquiétude et d’espoir qui malheureusement ne se réalise pas vite. Sur celui-là, il y avait beaucoup à dire. Nous avons cessé d’échanger nos impressions précisément parce que nous sentons de la même manière. En appliquant aux circonstances présentes le conseil de Gambetta : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais », nous avons considérablement abrégé nos lettres. Cela m’a permis de diriger mon effort épistolaire sur Montréal où je trouve dans ma famille des divergences d’opinion qui m’affligent.

Hélène tricote avec ardeur pour les soldats canadiens, mais elle pense qu’on devrait les garder au pays. Elle continue de se mettre en quatre pour recevoir les Académiciens de passage, elle se pâme d’admiration pour les braves officiers aux bras en écharpe, missionnaires du droit et de la justice, — à condition toutefois qu’ils soient élégants dans leurs uniformes, — mais elle ne veut pas admettre que le Canada se doit de prendre part à la lutte, qu’il y va de son honneur et de son avenir. On ne dirait pas qu’elle est la fille de mon père ! Ce n’est pas lui, votre vieil ami, qui se serait laissé influencer par la propagande boche si habilement camouflée qu’elle soit. Son cœur était infaillible. Comme j’ai été constamment auprès de lui pendant sa dernière maladie, je peux affirmer

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