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Canadiennes d’hier

— madame G. accepta d’être ma marraine et me donna au baptême ce joli prénom de Sylvie (c’est vous qui l’avez dit) qui était le sien et dont je suis assez satisfaite.

J’ai été un bébé pas trop gâté malgré les circonstances extraordinaires qui me faisaient entrer en ce monde dix ans après la dernière de la famille : puis une petite fille pas trop sage que sa bonne conduisait, les jours de classe, aux Ursulines dès le matin, et que son papa ramenait le soir, quand il revenait de son bureau, en passant invariablement par les mêmes rues. Tous les jours, à la même heure, je voyais la mitre de Mgr de Laval pointer ses cornes de bronze vers le ciel et les vieux canons encloués, pris à Sébastopol, monter la garde non loin de la demeure de mes parents.

J’avais dix ans lorsque je perdis ma mère. Sa longue maladie m’en avait tenue assez éloignée : je me souviens à peine d’elle maintenant. Mais j’eus alors l’impression très vive de la place qu’elle tenait dans notre vie par la désolation qui tomba sur notre maison lorsqu’elle l’eut quittée pour toujours. Il me sembla que j’avais aussi perdu mon père tant il changea, du jour au lendemain. Le beau Jacques Carrière, (comme vous dites, chère madame,) devînt, en l’espace de quelques heures, un vieillard. À l’âge que j’avais, je ne pouvais lui être d’aucune consolation. Ma sœur Hélène, (Mme Gustave Berti, que vous avez failli connaître, il y a un mois) mariée depuis quatre ans, passa chez nous, avec ses deux enfants, les trois semaines qui suivirent immédiatement notre mal-

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