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Canadiennes d’hier

et j’imagine leur inquiétude en ce qui concerne la succession au « bien des ancêtres ».

Si l’on m’avait dit, il y a cinq ans, que j’en viendrais à remercier Dieu de n’avoir pas permis que j’épouse ce pauvre Jean, je n’aurais pas voulu le croire et, pourtant, je ne voudrais pas être à la place de Pauline à présent.

Ce pauvre Jean, quand il m’arrivait de penser à lui, depuis deux ans, c’était pour l’accuser de manquer de cœur ou d’intelligence. Cultivateur et père de famille, il était justifiable de rester tranquille sur sa belle terre et d’être profiteur de guerre, — sans qu’il y eût de sa faute, d’ailleurs, — mais je ne pouvais pas me défendre de le comparer à ceux de Courcelette et de Vimy, et à son désavantage.

Sa mort le relève dans mon estime. Il devait se sentir atteint depuis quelque temps déjà, c’est évident. Je me souviens qu’à notre dernière rencontre il m’avait paru fatigué et je me souviens, de plus loin encore, que tante Louise avait pour son « petit », qui était grand et fort, une sollicitude qui paraissait exagérée. Elle avait toujours peur qu’il prenne froid. La bonne vieille maman connaissait le point faible de cette riche nature, elle avait discerné la menace.

Ce soir, Régina, je demeurerai en votre compagnie longtemps après avoir déposé mon porte-plume. Je vous écris en attendant d’aller, avec deux de mes compagnes, à la messe de minuit à Saint-Roch qui est l’une des plus belles églises de Paris. C’est cependant à la modeste église de St-Jean-Port-Joli que le chant du Minuit, chrétiens ! va

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