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Canadiennes d’hier

connaître ; ils me prennent, je crois, pour une sorte de phénomène. Le contact est difficile à rétablir ; nous ne trouvons plus rien à nous dire.

Ils sont, disent-ils, fatigués d’entendre parler de la guerre. Il faut croire que ma présence suffit à la leur rappeler puisque je n’en ai pas soufflé mot depuis mon arrivée.

Pendant mes quatre années d’absence, si, moi, j’ai changé, ma sœur, elle, est restée la même. Elle est toujours aussi primesautière et aussi jolie, quoiqu’un peu lourde pour le genre papillon. Mon beau-frère a pris du ventre, mais perdu ses cheveux et sa jovialité. Mes neveux ont de la barbe et ne me tutoient plus ; ils m’intimident. Je ne sais rien de leurs idées, je ne peux même pas voir s’ils en ont. J’ai entendu parler de leurs prouesses sportives, pas de leurs études et je n’ose pas poser de questions.

Aussi, je ne m’attendais pas à trouver la famille si haut perchée. On ne m’avait pas écrit que le démon de l’agiotage l’avait conduite sur le sommet du Mont-Royal pendant la guerre. Entendez par ces paroles que mon beau-frère s’est fait construire une belle maison au point le plus élevé de la ville, plus haut que l’Oratoire St-Joseph, et qu’il l’a meublée luxueusement. Tout est battant neuf. Je me trouve dépaysée au milieu de ces splendeurs qui ne me rappellent rien.

Par surcroît, j’ai appris avec un serrement de cœur que notre vieille maison de Québec, la maison de Montcalm. ne nous appartient plus. Il était entendu qu’elle resterait fermée jusqu’à la fin de la

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