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Canadiennes d’hier

heureusement, car M. Auguste ne l’aidait plus du tout. Il vivait, pour bien dire, machinalement, presque sans manger et surtout sans fumer, ce qui était extraordinaire et inquiétait tante Louise qui, elle, avait peut-être plus de chagrin que lui, au fond, mais qui se faisait une raison. Elle était obligée d’avoir du courage pour deux.

Il passait ses grandes journées sur le bed[1]. la tête basse, les mains jointes entre les genoux, à cogner des clous[2] ou à marmotter en cherchant péniblement à rassembler ses idées. Les premiers temps, j’essayais d’empêcher les enfants de faire du bruit pour ne pas fatiguer le pépère. Dans le jour, ça pouvait faire, ils étaient assez tranquilles ; mais le soir, après le souper, quand Daniel restait à la maison, ils se reprenaient. C’était à qui grimperait le premier sur ses genoux, et il fallait que, bon gré mal gré, « bissaud », comme ils l’appelaient, consente à jouer avec eux, les fasse sauter à « tit galop, gros galop » comme de coutume.

M. Auguste ne se plaignait pas du tapage et je remarquais qu’au contraire il en profitait pour dégourdir ses jambes, sans attirer l’attention, et aller dehors voir le temps qu’il faisait. Un bon soir, en rentrant, il a repris — en apparence distraitement — sa chaise berçante devant la porte du poêle et recommencé de tisonner. Le lendemain, il prenait en passant sa blague à tabac et sa pipe dans la poche de sa blouse, pendue derrière la porte de la cuisine et arrachait un brin de foin au balai, en jetant un

  1. Lit-pliant.
  2. Sommeiller.
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