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Canadiennes d’hier

temps de notre ménage, j’ai été jalouse de vous. Il était bon mari mais sans empressement : je m’en rends compte à présent que j’en ai un autre. J’ai eu la preuve en deux circonstances qu’il y avait au fond de son cœur un petit coin où je n’avais pas accès. Pour m’en assurer, à la naissance de ma petite tille, quand il s’est agi de lui choisir un nom de baptême, j’ai demandé qu’on l’appelle Sylvie. Jean a rougi, pâli et dit d’un ton sec : « Elle va s’appeler Louise comme sa marraine. » Je savais ce que je voulais savoir.

La seconde fois que vous avez troublé notre tranquillité, ça été pendant la guerre. Ce soir-là, comme d’habitude, Jean lisait son journal, auprès de la table, dans le rayonnement de la lampe ; moi, je reprisais des chaussettes sous l’abat-jour et chaque fois que les nouvelles étaient intéressantes, il m’en faisait la lecture. Il venait de tourner rapidement plusieurs pages d’annonces lorsque brusquement les bras lui ont tombé ! Je m’apprêtais à lui demander la cause de ce mouvement subit quand son air accablé m’a frappée.

Aussitôt que j’ai mis la main sur le journal, le portrait d’un groupe d’infirmières qui partaient pour le théâtre de la guerre m’a sauté aux yeux. Je me suis expliqué l’émotion de mon mari en vous reconnaissant parmi elles, d’autant plus qu’il a dû avoir, comme moi, l’impression que vous nous faisiez un peu la leçon. Cette fois, votre souvenir ne nous divisait pas, au contraire ; il nous mettait dans le même sac.

Tout cela est déjà loin, le temps passe vite.

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