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Canadiennes d’hier

maine encore, les tiroirs secrets de mes souvenirs. Malheureusement, mes actions sont toutes subordonnées à l’état de ma santé. Il me faut suivre un régime assez sévère, et, si j’étais tentée d’y manquer, les bonnes gens qui m’entourent de soins me rappelleraient vite à mes obligations. Or, comme la température a été très douce, dernièrement, je n’ai pas eu la permission de rester longtemps à la fois dans la maison. Chaque jour on m’a dit : « Gros’maman, il fait beau aujourd’hui encore, profitez-en, venez au jardin avec nous. » On me coiffe d’un grand chapeau de paille, je noue autour de mon cou un mouchoir rouge plié en pointe, Alice porte mon pliant et mes sabots de jardin. Régina me met la canne à la main et me donne le bras jusqu’à l’endroit où je dois m’asseoir. Je passe ainsi presque toutes mes journées au grand air, à regarder mes filles arracher les oignons et les pieds de haricots, cueillir les prunes et les groseilles, empoter les génaniums et planter les oignons de lis. Je chauffe mon vieux dos et mes vieux genoux au soleil. Je ne me rassasie pas de respirer le bon air, d’admirer tout ce qui m’entoure. Le jardin sent bon la verveine et le réséda ; les feuilles, encore toutes veinées de vert, tombent lentement, par devoir, parce que c’en est la saison et non parce que la température les y force. Hier, le ciel était gris perle. Sur ce fond si doux à l’œil se dessinait le velours mauve des montagnes. Sur les chaumes blonds, le vert foncé des petits bois d’épinettes se détachait plus nettement et, tout près de moi, le jaune des feuilles de bouleaux contrastait vivement

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