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Canadiennes d’hier

fitent de l’éclaircie pour sauter dehors et filer le long du nez pointu, pelé, auquel la pomme d’Adam ressemble comme une sœur. Le bonhomme n’a plus de dents, mais il a encore la langue bien pendue. D’une voix aiguë, qui m’entrait dans les oreilles comme une vrille, il a fait la causette :

« Beau temps, mame Tessier, vraiment beau ! on en profite pour sortir pendant qu’on est encore de ce monde… On vieillit… on vieillit… j’ai pris 92 à la St-Michel, oui ! quoique ça, j’ai encore l’œil à la mignonnette et le pied poudreux… Vous êtes pas jeune, vous non plus, soit dit sans vous offenser… » La conversation, ou plutôt son monologue, menaçait de durer ; heureusement, Régina est venue à mon secours en lui offrant quelques belles prunes blanches (c’est-à-dire jaunes d un côté, roses de l’autre) qu’elle venait justement de cueillir.

Comme mon Élie doit aller à Québec, aujourd’hui même, faire quelques achats, on cueillera, cinq minutes avant son départ, les plus belles qui restent aux pruniers, et mon vieux garçon vous les portera, toutes chaudes encore du beau soleil de St-Jean.

Au prochain jour de pluie, je continuerai de vous écrire. Je relis votre lettre et j’attends que vous ayez terminé votre petite histoire pour vous offrir ces consolations et ces conseils que vous m’avez demandés si gentiment. Jusqu’à présent, il me semble que vous n’avez besoin ni des unes ni des autres, mais attendons la fin.

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