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Canadiennes d’hier

Vous vous trompez, belle moqueuse, il n’y a pas l’ombre d’un roman entre ma Régina et notre jeune ami, Jean Leclerc. Elle est son aînée de dix ou douze ans et l’a vu grandir, de sorte qu’elle est moins vivement impressionnée de sa beauté que certaine jeune québécoise de notre connaissance. D’ailleurs, il a conquis notre estime par de tout autres qualités. Ce beau garçon aurait pu faire comme tant d’autres qu’on ne peut blâmer d’avoir quitté leur village. Son père l’avait mis au collège de Ste-Anne de la Pocatière, dans l’espérance de le voir embrasser, plus tard, l’état ecclésiastique. Si notre Jean, à défaut de vocation, avait voulu étudier le droit ou la médecine, l’auteur de ses jours aurait été fier et honoré tout de même qu’il devienne « un homme de profession ». La mort de son fils aîné l’a forcé de changer ses dispositions. C’est en novembre, il y a de cela cinq ou six ans, que ce malheur est arrivé. En revenant d’une partie de chasse à l’île aux Oies. Pierre Leclerc et ses deux compagnons ont été surpris par un coup de vent et se sont noyés presque sous les yeux de leurs parents, à dix brasses du rivage.

Jean faisait, cette année-là, sa rhétorique. Le père, Auguste Leclerc, s’accorda tout l’hiver pour réfléchir. Quand, aux vacances, le jeune homme revint à la maison, porteur d’un beau diplôme de bachelier et s’attendant à des félicitations, son père lui dit sans prendre des gants : « Tout ça, c’est bel et bon, mon garçon, mais ça te servira pas à grand’chose : il faut que tu restes avec moi pour cultiver la terre. Tes deux frères sont établis au

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