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Canadiennes d’hier

gea de direction. Ma belle-mère prit prétexte de ces événements familiaux pour m’emmener, l’été suivant, passer mes vacances avec elle, à la Pointe-au-Père… à quarante lieues de St-Jean-Port-Joli !

J’ai compris, plus tard, que tous nos proches s’étaient aperçus de ces sentiments tendres que nous croyions si bien dissimulés, mon ami Jacques et moi, et qu’ils voyaient plus clairement que nous le danger des fréquentations quotidiennes. À cette époque, je n’en pensais pas si long et je me trouvais bien malheureuse. J’aurais voulu écrire à Amélie sinon à Jacques directement ; une gêne m’en empêcha. Je craignis que leurs sentiments ne fussent plus au diapason des miens et que mon bel amoureux eût déjà oublié son « flirt » de l’été précédent.

Je n’ai jamais été jolie. J’étais, à cette époque, petite, maigre, noiraude… et mal mise ! Ma belle-mère, qui était blonde et de belle taille, n’était pas fière de moi. Comme elle était bonne ménagère et peu généreuse, elle recoupait ses vieilles robes pour m’en fabriquer des neuves dont je devais faire mes beaux dimanches. Imaginez comment pouvaient me convenir les nuances qui allaient à son teint clair.

Au fond, cette année-là, elle compatissait probablement à mon gros chagrin, mais elle ne faisait rien pour l’adoucir. J’aurais été moins malheureuse si seulement elle m’avait acheté une robe neuve, une pauvre petite robe de quatre sous, beige, jaune ou rouge, au lieu de m’endimancher de satin vert

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