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Canadiennes d’hier

nais que vous êtes souffrante ; c’est bien assez que j’aie à me reprocher d’avoir laïcisé pour vous cette grande fête religieuse, quand ce ne serait que de vous avoir empêchés de dire les mille ave en famille (j’ai vu votre chapelet en petit tas sur l’étagère). Pour moi, c’est le contraire qui s’est produit : mes émotions profanes sont devenues religieuses à force d’intensité. J’ai pleuré pendant la messe de minuit, mais je ne jurerais pas que le grand mystère qu’on y célébrait ait été l’unique cause de mes larmes.

J’étais attendue, ici, avec impatience. Mes deux neveux sont venus au-devant de moi jusqu’à la gare de Lévis, afin de satisfaire plus vite leur curiosité. Il a fallu que je leur dise sans tarder pourquoi je leur ai faussé compagnie dès leur arrivée à Québec. Tout en m’acheminant vers le bateau et pendant la traversée, — un petit gars pendu à chaque bras et tous les deux suspendus à mes lèvres, — j’ai fait le récit de mon beau voyage en le dramatisant un peu pour le rendre plus intéressant à mes jeunes auditeurs. J’ai parlé de mon arrivée à la station de St-Jean, du passage brusque de la clarté vive du wagon à l’obscurité de l’extérieur ; de la lanterne du nègre, posée sur le quai, qui n’éclairait que des pieds, tandis que celle du chef de gare, balancée à l’aveuglette, laissait deviner des capots de chat[1] qui tendaient le bras vers les voyageurs en poussant des cris rauques. Je leur ai dit que le plus beau de ces capots avait une voix

  1. On dit « paletot de racoon » dans le commerce et dans les romans.
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