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Canadiennes d’hier

À la maison, j’ai recommencé mon récit en le modifiant considérablement. Si on ne m’avait pas interrogée, j’aurais quand même parlé, je ne peux m’en taire… et c’est heureux : si je ne disais rien, je croirais avoir rêvé tant les bons moments vécus en votre compagnie ont été vite passés.

En rentrant de son bureau, avant même de s’essuyer la moustache pour m’embrasser, papa s’est écrié : « Et madame Tessier, comment est-elle ? » J’ai répondu : « Elle va bien, cher papa, et… elle est belle ! » J’ai fait votre portrait d’enthousiasme, gros’maman. Vos oreilles ont dû tinter. J’ai dit : (sautez le paragraphe, si vous craignez pour votre modestie) « Si tu voyais, père, ses fins cheveux blancs frisotter autour de son front sans plis ! Les beaux yeux noirs que tu n’as pas oubliés sont toujours brillants et la bouche charmante est encore meublée de ses belles dents naturelles, sauf un petit manque au coin du sourire. Le généreux embonpoint dont se plaint notre amie l’a préservée des rides. Elle a les plus jolies mains potelées ! — potelées sans onction ecclésiastique, tu sais, vives et parlantes.

Il fallait la voir présider sa table, au réveillon, dans sa robe noire tout unie, éclairée au col d’une étroite bande de tulle blanc retenue par un tout petit bijou, — rubis entouré de perles, — et si soignée de toute sa personne ! »

Il n’y a pas à dire, gros’maman, vous êtes décorative. Et le réveillon était digne de la dame de céans : plantureux et exquis. Vous nous regardiez y faire honneur en buvant à petites gorgées une

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