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Canadiennes d’hier

peut pas quitter « l’Athènes du Canada » comme on dit modestement ici, en certain milieu (qui n’est pas le nôtre, je vous en avertis) ; elle ne quitte jamais, dis-je, le bon vieux Québec sans inviter ses amis et amies, de vieille et de fraîche date, à quelque grande réception, bal ou, comme cette année, thé, bridge et sauterie.

Quoique ce genre de distraction me laisse plutôt indifférente, je n’ai pas pu me dispenser d’aider ma sœur à s’acquitter de sa fatigante tâche d’hôtesse. J’espère m’en être tirée avec grâce et dignité. Mon devoir est fait, je passe à mon plaisir.

Je me retrouve, dans votre grande salle, au plafond bas reluisant de propreté, le jour de Noël après-midi. Par les deux fenêtres, aux rideaux amidonnés de frais, pénètre la blancheur dorée d’un beau jour d’hiver. Tout reluit dans la pièce : l’argenterie du buffet, le cadran de la pendule, les vitres de la bibliothèque… Un rayon de soleil se fraye un passage à travers les plantes vertes de la serre, à seule fin de faire reluire les yeux à demi clos de votre chatte d’Espagne, qui est étendue de tout son long dans votre fauteuil. Seule, la glace de l’étagère, placée à contre-jour, doit se contenter de refléter mon visage. Je viens de mettre ma toque, je l’incline sur l’oreille droite, je fais bouffer mes cheveux sur la gauche ; je me crois seule avec la chatte, je ne vous ai pas entendue venir et je me mire avec quelque complaisance. Tout à coup, j’aperçois votre visage à côté du mien dans la glace. Vous souriez de ma coquetterie avec un grain de malice. Sans paraître le remarquer, je dis que

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