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Canadiennes d’hier

ce, c’est aisé à voir. Tout ce que je demande, c’est que ces propos ne parviennent pas aux oreilles de Mlle Carrière : elle pourrait croire que j’y suis pour quelque chose. Pour moi, je suis content, je ne donnerais pas mon après-midi de Noël pour bien de quoi. »

J’ai souri et laissé tomber le sujet. J’avais mon « Chanteclerc » tout prêt. Jean alla dans l’entrée glisser le volume dans la poche intérieure de son désormais fameux capot de chat, revint s’asseoir en face de moi, dit quelques mots de la température en regardant distraitement au dehors, puis s’absorba dans ses pensées au point de n’avoir plus conscience de ma présence. La voix moqueuse de Joseph Frenette le tira de sa rêverie :

« Voyons, voyons, Jean, c’est pas poli ce que tu fais là, mon vieux. Demande pardon à madame Tessier, remercie-la de son bon dîner et viens-t-en chanter les vêpres ».

J’ai tout dit ; du moins, je le crois. Je voudrais bien avoir épuisé le sujet et qu’il n’en soit plus question. J’espère que mon imprudence n’aura pas de conséquences graves ni pour vous ni pour d’autres. Soyez raisonnable, ma petite Sylvie. Je conçois que vous ayez eu un moment d’émoi, que votre esprit ait trotté, excité par le piquant de l’aventure ; mais vous avez eu le temps de vous ressaisir depuis plus d’un mois que vous êtes retombée dans votre milieu. « Loin des yeux, loin du cœur », dit le proverbe. Vous n’avez pas la romanesque veuve Tessier, là, pour faire le pont entre vous et votre bel ami, vous pouvez mieux mesurer la distance

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