Page:Bonenfant - Canadiennes d'hier, lettres familières, 1941.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Canadiennes d’hier

man et vous n’êtes pas obligée de le dire ; mais il se peut aussi qu’il vous ait échappé parce que vous la voyez tous les jours vaquer à ses petites besognes habituelles, le sourire aux lèvres. Moi qui l’ai vue pour la première fois à Noël, j’ai été frappée du peu de gaieté de son sourire. Ses jolis yeux « noisette » ont pleuré, je le jurerais. Et elle a deviné tout de suite mon secret, je l’ai compris au regard de compassion que j’ai surpris attaché sur moi. Je me suis dit : « Elle me plaint d’aimer, donc elle a souffert par l’amour. » C’est logique. L’apaisement s’est fait à la longue : elle se trouve heureuse, je n’en doute pas, chez sa bonne cousine Tessier, dans l’atmosphère de calme, de bonne entente, d’affection que la chère gros’maman répand autour d’elle. Je la trouve à la fois chanceuse et admirable, ce qui peut paraître contradictoire ; toutefois, je ne peux pas être aussi raisonnable qu’elle pour le moment. Je vais peut-être au-devant d’une déception, mais il faut que je coure ma chance avant de sombrer dans la « vieille fillerie » ; je veux lutter pour conquérir un bonheur plus vif et plus fécond que le sien.

Mes réflexions sont faites, chère madame ; je ne crains pas que la tâche soit au-dessus de mes forces. J’ai une excellente santé que la vie aux champs ne pourra que fortifier, une volonté ferme de prendre mon rôle au sérieux, et une autre bonne raison de ne pas redouter l’avenir que vous ne connaissez pas encore et qui, je le crois, réduira à néant toutes les objections.

La petite Sylvie remercie la Providence de sa grande bonté et l’embrasse sur les deux joues.

97