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Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/206

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Qu’importe de savoir, quand notre âme soupire,
S’il est d’or ou de plomb le trait qui la déchire ?
Je suis riche, je suis jeune et belle, dis-tu ;
Israël me nourrit de sa mâle vertu ;
Je vis dans la raison et le veuvage austère ;
Mes pieds n’ont rien touché des fanges de la terre ;
Tout ce qui fait l’esprit sage, libre, content,
Le ciel me le prodigue… et je pleure pourtant !
À connaître son mal on doit trouver des charmes,
Mais je ne connais pas la source de mes larmes.

MÉGARA

Que ne suis-je à ta place, amie, en vérité ?
Mon seul malheur à moi, vois-tu, c’est ma gaîté.
Quand j’entrai dans ce monde, une nymphe joyeuse
Riait avec l’écho sous l’ombre d’une yeuse ;
Et ce rire est resté sans doute dans mon cœur,
Le rire étincelant, ailé, fier ou moqueur,
Allégresse éternelle et dont l’âme s’enivre ;
Mais c’est un mal au fond : rire, ce n’est pas vivre !
Pleurer doit être doux.

LYDIE

Tu le crois, Mégara !

MÉGARA

Oui, je voudrais pleurer un jour.

LYDIE

Ce jour viendra.

MÉGARA

Pas encor ! Ce matin, sur la place publique.
Là-bas, j’ai rencontré, marchant d’un pas oblique
Elymas, ton ami, ton frère en Israël ;
Il allait, à la fois craintif et solennel,
Avec sa longue barbe et sa tiare en tête ;
Sa bouche à foudroyer l’univers semblait prête.
Je commençais à rire ; en passant il a dit
D’un accent furieux : Que le Christ soit maudit !