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CHAPITRE XIV.

et le navire ont disparu ! La drome échappe alors aux mains tremblantes, les poitrines se brisent, on n’entend plus que le bruit des sanglots étouffés. « Payez vos dettes ! » c’est-à-dire faites de nombreuses prières, répètent, autour des veuves et des orphelins, les spectateurs de cette scène de désolation[1].

Un sinistre présage s’attache à l’apparition désignée sous le nom de la Femme grosse. On raconte qu’une femme grosse, s’étant précipitée du haut de la falaise du Pollet, se brisa sur un rocher qui s’élève presqu’au sein des flots, au-dessous de cette falaise ; mais la Femme grosse n’a point abandonné le lieu sinistre, témoin de sa tragique catastrophe ; attirée par la tourmente des nuits orageuses, elle vient encore, vêtue d’habits blancs flottants, et poussant des cris de détresse, errer sur le fatal rocher auquel elle a donné son nom. Ce fantôme, disent les femmes du Pollet, est, pour celle qui l’aperçoit, le signe certain de la mort d’un de ses proches : d’un père, d’un frère, d’un amant, d’un époux. Le rocher de la Femme grosse est peu éloigné des petites loges où les femmes des pêcheurs s’entassent pendant les nuits d’orage, pour attendre le retour de leurs parents, et faciliter leur entrée dans le port. Il est aisé d’imaginer, en des circonstances aussi pénibles, l’impression que doit produire un pareil voisinage sur des esprits qu’exalte sans cesse la présence des dangers.

Ce n’est pas à propos des faits que nous venons de raconter, qu’il faudrait soulever la question de la réalité des apparitions. Les récits de toute espèce, que nous lègue la tradition, sont toujours entachés de quelques puérilités, qui suffiraient seules pour ruiner le crédit de la croyance à laquelle ils se rattachent. Cependant le dogme des apparitions porte en lui un caractère de vraisemblance morale qui le distingue des autres croyances populaires. À la vérité, si les apparitions étaient possibles, elles auraient l’inconvénient d’intervertir l’ordre naturel, et

  1. F. Shoberl, Excursions in Normandy, t. I, p. 251. — L. Vitet, Hist. de Dieppe, t. II, p. 308.