Page:Bosquet - Une femme bien elevee.pdf/117

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fallait qu’un souffle passionné pour faire battre ce cœur, pour soulever les ailes de cette imagination. Poussée par un instinct irréfléchi peut-être, mais violent, elle avait cherché à se donner le spectacle de ses premières émotions : l’amant était absent, elle avait évoqué l’amour. En interrogeant délicatement les rêveries de Cécile, en l’enhardissant par des confidences adroites, en l’enivrant par des divagations exaltées, elle avait gagné sa confiance. Cécile lui avait avoué ce qu’elle ne s’était jamais avoué à elle-même, le désir, le besoin d’aimer, caché au fond de son cœur. Cette passion sans objet, mais déjà éclose et vivante, madame de Nerville en recueillait les arômes et les frémissements : elle avait vu la jeune femme, dans ces dangereux entretiens, rougir, se troubler, voiler son front, dérober ses larmes, et alors un sourire ironique et triomphant avait paru sur ses lèvres. Ce n’était pourtant pas en elle toute perversité, c’était aussi entraînement, soif inassouvie de l’amour que l’âge n’avait pas éteinte. Les piéges qu’elle tendait étaient le résultat involontaire de la passion et non des froids calculs de la méchanceté. Mais, pour constater le succès de sa pernicieuse influence,