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MYSTÈRE DU SIÈGE D’ORLÉANS.

souvenir maudit de Gilles de Rais l’ait frappé de mort.

Dira-t-on qu’il a été composé dans la seconde moitié du siècle, et que, à cette époque, l’impression causée par les crimes et la mort de Gilles avait disparu de la mémoire du peuple ? Cette opinion n’est établie sur aucune preuve solide. Trente ans ou quarante ans d’ailleurs ne suffisent pas pour enlever la trace de crimes tels que rien ne pourra jamais les effacer. Les grands coupables ont un nom souillé pour des siècles entiers ; celui de Gilles de Rais est marqué d’une tache indélébile ; et il est même à remarquer que la tradition a été sur ce point aussi fidèle que l’histoire, puisque nous retrouvons encore, après quatre cents ans et plus écoulés, l’esprit du peuple aussi épouvanté par ses crimes que l’imagination des écrivains. S’il en est ainsi, de quels yeux les hommes de ce temps-là auraient-ils vu le rôle honorable que Gilles tient auprès de Jeanne d’Arc, l’idole du peuple ? dans une pièce où figure Dieu lui-même ? dans un drame qui glorifie la patrie ? Il aurait fallu que l’auteur eût perdu tout sens moral. Si donc ce mystère fut représenté, nous ne craignons pas de le dire : il n’a pu l’être après 1440. Mais qu’il l’ait été ou non, il suffit que l’auteur l’ait destiné à être joué, ce qui est indubitable, pour affirmer qu’il fut écrit avant 1440. De si près que l’écrivain, en effet, voulût serrer l’histoire, il ne lui convenait pas d’évoquer sur le théâtre l’ombre maudite de Gilles de Rais ; disons quelque chose de plus : il ne le pouvait pas, et dans l’intérêt de sa réputation et dans l’intérêt de son œuvre[1].

Mais cette œuvre fut jouée, et, d’après nous, aux frais du maréchal artiste. C’est ce que prouvent suffisamment, ce

  1. M. Petit de Julleville croit que ce mystère remonte au delà de 1439. T. II, p. 576-582.

    M. Tivier, qui dans son Étude sur le mystère du siège d’Orléans (Paris, 1868), reconnait ce poëme antérieur à la condamnation du duc d’Alençon en 1438, au lieu de le rapporter vers 1456, doit, comme nous, le rejeter au delà de 1440 : car les raisons qu’il apporte, tirées de la condamnation du duc d’Alençon, sont les mêmes que celles qu’il convient de tirer de la mort de Gilles, et moins fortes encore.