Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
GILLES DE RAIS.

les plus riches. Il parait qu’il ne pouvait s’en séparer, non plus que de ses orgues, de sa chapelle et de sa maison militaire ; il les emportait avec lui dans ses voyages les plus lointains : ses livres étaient tout ensemble et une ressource dans les moments de détresse, et un agréable passe-temps dans les moments de loisir. Des relieurs, remarquables par leur habileté, en enrichissaient les couvertures, tandis que « son enlumineur » en ornait les pages par les dessins capricieux et les vives couleurs de son art. Et quels textes pour cette époque, où le bon goût dans les œuvres de l’esprit parait avoir été si rare ! Il n’avait pas seulement de ces psautiers ni de ces livres d’heures, que nous énumérons aujourd’hui avec orgueil dans nos bibliothèques publiques, comme si nous avions pris nous-mêmes la peine de les écrire et employé nos revenus à les payer ; mais il avait réuni encore ce que la Rome antique et l’Église des premiers siècles offrent de plus apprécié parmi les œuvres du génie latin. On dit qu’il lisait Suétone : ce n’est peut-être qu’une tradition ; mais il est certain qu’il avait un Valère-Maxime, un livre des Propriétés, les Métamorphoses d’Ovide, et la Cité de Dieu de saint Augustin, en latin et en français. Ce sont les seuls livres de sa bibliothèque qui soient désignés dans les minutes trouvées à Orléans ; mais la nature même de ces pièces, créances ou obligations, permet de croire que ces ouvrages n’étaient pas les seuls, mais les plus précieux, qu’il possédait. Ces documents enfin sont loin d’être complets, et il n’y a pas de doute que, s’ils nous avaient tous été conservés, nous aurions glané parmi eux de plus complètes et plus nombreuses indications. Mais c’en est assez pour prouver que l’éducation littéraire de Gilles avait été plus soignée que l’on ne s’imagine communément qu’elle pouvait l’être à une telle époque. Il savait juger lui-même et faire juger aux autres de la valeur de ces richesses littéraires ; car, aux jours si fréquents où l’argent lui faisait défaut, il les livrait en gage de sa parole donnée, mais il ne les vendait jamais,