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GILLES DE RAIS.

désigné d’avance comme le tuteur des enfants ; or, c’est précisément cet homme que le mourant écarte de leur éducation par son testament, en date du 28 et du 29 octobre 1415. Aux termes de ce testament, Guy de Laval substitue à l’aïeul de ses enfants un cousin éloigné, Jean de Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, mari de sa « chère » cousine de Saffré : il l’établit « garde, tuteur, défenseur et légitime administrateur de ses fils et héritiers, Gilles et René, et de tous leurs biens ». Dans sa prévoyance anxieuse de l’avenir, avait-il mal auguré du grand âge de leur aïeul maternel, Jean de Craon, de la faiblesse naturelle de son caractère, encore augmentée par la faiblesse qu’apportent les années ? Avait-il entrevu les malheureux effets d’une éducation confiée à une direction sans vigueur, plus dangereuse encore qu’une autorité sans expérience ? Avait-il, au contraire, remarqué dans son cousin ces qualités solides qui manquaient au vieillard ? On l’ignore ; mais il semble permis de le croire, puisque Jean de Craon n’est pas même nommé dans un acte aussi solennel, qui, venant clore la vie du père, prépare celle des enfants[1].

Or, le malheur voulut que l’éducation des deux orphelins passât dans ces mains, auxquelles le père semble avoir surtout voulu l’arracher. On ne sait par quel fâcheux concours de circonstances Gilles et René tombèrent, quelques mois seulement après la mort de leur père, sous la tutelle de leur aïeul. Venir en pareille tutelle, c’était entrer dans une indépendance complète, à un âge où l’on ignore même le nom de la liberté. Leur éducation fut déplorable par la faiblesse qu’y apporta le vieillard. Les historiens, les procès de Gilles de Rais, Gilles lui-même et son frère René, tous les documents originaux qui renferment quelque allusion à la tutelle du vieux seigneur de Champtocé, nous le représentent comme un homme mou, indulgent, trop indulgent, hélas ! qui gouvernait ses petits-fils moins d’après les règles de la saine

  1. Cartulaire des sires de Rais, no 251.