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Page:Botrel - Chansons de route, 1915.djvu/20

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le blasphème sur des lèvres momentanément découragées ?… Nul n’a mieux ni plus puissamment exprimé que notre Maurice Barrès cette espèce de timidité particulière dont souffre l’homme qui a écrit et pense en présence de celui qui agit et qui est prêt à mourir. Cette timidité-là, il me semblait bien que Botrel ne l’avait pas et j’étais fort curieux de savoir quel accueil allaient lui faire ceux que nous appelons désormais nos « Héros ».


les blessés


La première fois, ce fut à l’hôpital des Dunes. Un hôpital improvisé dans un vieux collège, aux larges escaliers vermoulus, aux murailles uniformément blanchies d’un lait de chaux, avec une haute plinthe de peinture verte. Une longue salle contient une cinquantaine de lits. Il y a là des blessés de toutes les armes, des amputés, des convalescents, des visages imberbes éclairés d’un sourire où vacille un reste d’adolescence, des faces ravagées de territoriaux hirsutes, renfrognés et soucieux, un nègre hilare aux épaules de cariatide, un Kabyle au teint de bronze clair, à la barbe courte, au crâne rasé. Fiévreux, boudeur, couché en chien de fusil, il remonte ses couvertures, ne veut rien voir, rien entendre. Le « barde » arrive, guêtré, en tenue militaire, sans autre insigne qu’un brassard de soie tricolore. Il monte sur une petite estrade comme on en met sous les pieds des chefs d’orchestre. Dans l’allée du milieu, au bout de la salle, il la domine. Les infirmiers militaires sont rangés au long du mur, les médecins-majors assis sur des chaises deci delà, les dames de la Croix-Rouge sourient, accoudées au chevet des lits.

Botrel parle. D’une voix qui vibre étrangement