Page:Botrel - Chansons de route, 1915.djvu/24

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public ! Comment décrire ces capotes fripées, décolorées, ces képis déformés, détrempés par les averses, ces faces hirsutes enveloppées de cache-nez de toutes les couleurs et qui portent les traces de tant de souffrances, de luttes courageuses, de dangers courus ?…

Botrel eut bientôt fait de les inciter à reprendre en chœur au refrain, sa Rosalie fameuse, ses Routes du Kaiser, son hilarant En passant par ton Berlin, etc. Tassés les uns contre les autres, malgré la diversité des physionomies, quelques-unes béates et qui semblaient boire le chanteur, d’autres soucieuses, harassées, réfractaires, ils semblaient n’avoir qu’une seule âme. Ce chœur à trois mille voix dégageait une singulière puissance d’entraînement mutuel… Cette âme collective avait des accents douloureux et farouches ; par moments la grande voix mâle et guerrière faisait trembler les vitres du Kursaal, puis elle traînait sur les finales en lamento. C’est la voix de ceux qui ont donné leur vie en connaissant toute l’étendue du sacrifice…


les cols bleus


Mais le plus beau ce fut quand Botrel chanta pour les matelots des navires qui, sous le commandement du capitaine de frégate Richard, ont depuis le commencement de la bataille de l’Yser bombardé la côte belge en deçà et au delà d’Ostende. ans vingt-cinq de ces sorties périlleuses, nos bateaux ont arrêté, avec les Anglais, la marche des ennemis sur le rivage ; le Gouvernement a d’ailleurs adressé à leur chef ses félicitations pour leur belle conduite.

Je les verrai toujours dans le vaste hangar du Grand Port, étagés sur des piles de sacs et les montagnes de caisses, dans le plus pittoresque des amphithéâtres. Sur un grand balcon de bois, ils étaient ali-