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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/120

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Roger venait, à force de bras, de se hisser sur le premier des deux arbres renversés et se redressait sur sa bonne jambe, quand il reçut le coup du Huron. Il s’affaissa, assommé. Son corps inerte glissa entre les deux arbres et bascula en dessous, où il s’étendit sur la mousse et resta immobile, sans connaissance.

Les clameurs du combat et de la poursuite s’éloignèrent, puis cessèrent. Les poursuivis et les poursuivants disparurent, et tout retomba dans le silence.

Les oiseaux, qui s’étaient enfuis aux premiers bruits de la bataille, revinrent et reprirent leurs chants. La brise continua d’agiter mollement les feuilles et de moirer la surface du lac. Les insectes poursuivirent leurs travaux incessants, tout en susurrant mystérieusement dans les touffes d’herbe, et la journée s’acheva dans la quiétude d’un beau soir d’été.

La nuit vint. La lune monta au firmament et éclaira, de sa lumière triste et en les faisant paraître plus horribles dans ce décor paisible, les quelques cadavres de sauvages abandonnés sur la grève et qui, gisant dans toutes sortes d’attitudes grotesques, grimaçaient aux étoiles.

Roger n’avait pas encore bougé. Quand, à la fin, il reprit connaissance, il lui fut d’abord impossible de comprendre sa situation. Il avait beau écarquiller les yeux de toutes ses forces, il ne pouvait rien distinguer.

— Suis-je aveugle ? se demanda-t-il, en parlant à voix haute.

Le son grêle de sa voix le surprit et il voulut porter la main à ses yeux, afin de s’assurer qu’ils étaient bien ouverts. Mais sa main heurta quelque chose de moelleux et d’humide.