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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/126

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Sans plus parler, ils se mirent à jouer vigoureusement de l’aviron, tenant l’avant de leur canot tourné vers Lachine, où ils arrivèrent vers le milieu de l’après-midi.

L’aubergiste dont les deux voyageurs avaient parlé en termes si peu flatteurs, et qu’ils avaient appelé maître Boire — nom qui convenait admirablement bien à un homme dont le métier était de faire boire les autres — avait son auberge tout près de l’endroit où les canots atterrissaient, quand ils arrivaient à Lachine par le lac Saint-Louis. C’était, de ce côté-là, la première maison du village.

En plus du métier de cabaretier, maître Boire exerçait aussi celui de commerçant de pelleteries ; en ce sens que, quand un sauvage voulait se procurer de l’eau-de-vie avant d’avoir vendu ses peaux, l’aubergiste était toujours prêt à échanger une bouteille de la liqueur tant convoitée par les naïfs enfants de la forêt, pour autant de pelleteries qu’il pouvait leur en extorquer ; pelleteries qu’il revendait ensuite, contre un bon prix, à ceux qui faisaient un commerce régulier de cette marchandise.

Comme son auberge était le rendez-vous ordinaire des coureurs de bois et des sauvages, aussi bien que des désœuvrés du village — les désœuvrés formant, en ce temps-là aussi bien que de nos jours, le fond de la clientèle de toutes les auberges — il s’y passait quelque fois des scènes de tapage et même des rixes sanglantes. Malgré cela, maître Boire était toujours parvenu, soit à cacher le véritable état des choses aux autorités, soit à se le faire pardonner quand il ne pouvait empêcher qu’il fût connu.