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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/127

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Ce jour-là, l’aubergiste finissait de tout ranger dans l’unique pièce du rez-de-chaussée de son auberge — pièce qui servait de cuisine, salle-à-manger et buvette — et il s’asseyait sur le pas de sa porte. Tournant ses regards vers le lac, il leva tout à coup la main et, la plaçant au-dessus de ses yeux de manière à les protéger contre les rayons du soleil, il tint son regard fixé quelques instants sur un point noir qui se mouvait à la surface de l’eau. Après s’être écarquillé les yeux démesurément et avoir changé de position deux ou trois fois pour essayer de mieux voir, il laissa tomber son bras en grommelant :

— C’est bien un canot, mais il m’est impossible de voir par qui il est monté !

Il rentra dans son auberge et en ressortit un peu plus tard comme le canot abordait. Alors il reconnut, dans ceux qui le montaient, deux de ses anciennes pratiques. S’avançant vivement jusqu’au bord de la berge, il leur dit de son air le plus aimable :

— Bonjour Suisse !… Bonjour Georges !… Comment allez-vous tous les deux ?… Dites-moi quel bon vent vous amène chez moi aujourd’hui ?

— Bonjour, maître Boire, répondit le plus âgé des deux, que l’aubergiste venait d’appeler « Suisse, » et que le lecteur doit sans doute reconnaître par cette appellation. Ton eau-de-vie est-elle toujours buvable ?

— Toujours buvable !… Quand vous y aurez goûté vous m’en direz des nouvelles… Et toi, Suisse, as-tu encore des noisettes ?

— Tu sais bien que je n’ai pas de noisettes à cette saison-ci. Il y a longtemps que la récolte de l’année dernière est épuisée, pendant que celle de cette