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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/150

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vivant tous en commun et n’ayant presque pas de biens personnels, ne considéraient pas le vol comme une mauvaise action. Mais, là où Roger avait été surpris, c’est quand il avait vu Ohquouéouée avoir honte de l’acte qu’elle avait tenté de commettre, et sembler le regretter ; car c’étaient là des sentiments qu’il n’avait pas encore remarqués chez les sauvages et qui dénotaient chez la jeune fille une élévation de sentiments bien au-dessus de sa condition. Puis il avait été émerveillé de la sincérité et de la candeur avec lesquelles elle lui avait raconté sa vie. Plus tard, pendant leur promenade à la source Saint-Léon et au cours de la nuit passée en canot, il avait remarqué avec quelle délicate modestie féminine elle s’était tout le temps comportée. Ces différentes constatations lui avaient fait voir la jeune Iroquoise sous un jour infiniment plus favorable que celui sous lequel il avait regardé toutes les femmes qu’il avait rencontrées jusque là. Et, surtout depuis qu’il l’avait vue disparaître et qu’il la sentait irrémédiablement perdue pour lui, il se sentait attiré vers elle par une sympathie qui allait toujours en s’accentuant.

Mais toutes ces constatations et tous ces sentiments étaient encore trop confus et trop emmêlés dans le cerveau et le cœur du jeune homme pour qu’il pût les analyser, et ils constituaient un problème trop difficile à résoudre. Après être resté pendant longtemps dans la même position, comme en contemplation devant les arbres qui venaient de lui cacher Ohquouéouée, Roger reprit seul, lentement et la tête basse, le chemin de l’endroit où était amarré le canot.