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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/174

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nu de deux cents pieds de hauteur et taillés à pic. Ne pouvant y parvenir, elle continue sa route et retombe dans d’autres précipices, rencontre d’autres obstacles auxquels elle livre de nouveaux assauts ; puis, après un demi-mille de cette course désordonnée, mugissant, se tordant, sifflant et hurlant comme mille damnés, elle débouche enfin dans la vallée inférieure ou, encore bouillonnante, elle s’étale sous les arbres, comme un lévrier haletant qui s’étend à l’ombre après une longue course.

Aujourd’hui, la rivière Coaticook est presque silencieuse. Là où elle mugissait, elle ne fait que bourdonner ! Là où elle hurlait, elle grince ! Là où elle se tordait en mille contorsions et bonds désordonnés, elle coule emprisonnée dans de longs boyaux de fer ! C’est que l’homme l’a domptée, puis attelée ! Et sa force sauvage qui, jadis, ne servait qu’à ébranler les échos des forêts sans limites, fait tourner les roues de plusieurs usines et éclaire la coquette petite ville blottie dans la vallée qui lui sert de lit.

C’était justement à l’endroit où la rivière, s’échappant de l’étroit défilé, reprend son cours paisible, que les deux compagnons avaient tiré leur canot sur le sable de la grève.

Mais là, une déception attendait Le Suisse. La hutte qui lui avait servi d’abri en même temps que de magasin pour le produit de ses chasses, depuis deux ans qu’il venait passer l’automne dans ces parages, et qu’il avait laissée intacte l’automne précédent, était disparue. À l’endroit qu’elle avait occupé, quelques troncs d’arbres à demi calcinés et un peu de cendre, seuls, s’offraient aux regards des deux hommes.