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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/188

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Et tout le temps, il n’y a que les bras du bûcheron qui travaillent. Nous avons vu des bûcherons canadiens se camper devant un arbre, les deux talons sur une même ligne et le torse bien droit — presque dans l’attitude du soldat au « Garde-à-vous — et frapper l’arbre à raison de quinze à vingt coups à la minute, enfonçant la hache dans le tronc de l’arbre : « Jusqu’à la tête, » comme ils disent dans la forêt. Le bûcheron continuait cet exercice toute la journée et, à l’exception d’un « Han ! » vigoureux à chaque fois que la hache s’abaissait ; signe que les poumons travaillaient à l’unisson du reste du corps, il ne montrait aucune trace de fatigue.

La vue d’un bûcheron canadien se campant au pied d’un géant de la forêt et l’attaquant à coups répétés de sa bonne hache, qui, à chaque fois qu’elle s’abat, fait voler les copeaux dans toutes les directions et dont chaque coup fait tressaillir l’arbre qu’elle attaque tout en faisant résonner les échos environnants, est un des plus beaux spectacles que puisse nous offrir la forêt canadienne. Et le moment le plus palpitant est quand, dominant les premiers craquements de l’arbre qui chancelle, on entend la voix sonore du bûcheron lançant le traditionnel : « Gardez-vous ! » pendant que lui-même se recule de quelques pas, contemplant l’adversaire qu’il vient de vaincre. Alors on entend un long et puissant sifflement, semblable à celui de la tempête dans les cordages d’un navire, et on voit le géant, qui tout à l’heure encore dominait orgueilleusement les autres arbres, s’étendre de tout son long, écrasant dans sa chute, herbages, arbrisseaux et arbres moyens qui, naguère, croissaient à son ombre.